mercredi 26 septembre 2012

Espace japonais: le territoire / P. Marmignon


Izanami et Izanagi Kobayashi Eitaku

Izanami et Izanagi
((cc) Kobayashi Eitaku, vers 1885/ MFA, Boston)

KOKUDO 国土 

TERRITOIRE


par Patricia Marmignon


Selon le Kojiki (712), le couple originel japonais, Izanagi-no-mikoto et Izanami-no-mikoto, chargés de compléter la Terre à la dérive, formèrent l’île d’Onogoro, première terre ferme, où ils élevèrent un pilier céleste et un palais, miya. De là naquit l’archipel du Japon et les dieux de la nature. Le territoire japonais fut ainsi constitué et le peuple engendré simultanément, d’où le sentiment d’une consubstantialité entre la terre-mère nourricière et la chair même du peuple, corrélatif d’un attachement puissant et exclusif.

Différents vocables signifient « territoire » en japonais. Ryōiki 領域, sphère d’influence, zone de contrôle, ryōdo 領土, possession, fief ou encore ryōchi 領地, domaine, territoire. Ryō a le sens de domaine, territoire, juridiction, fief. Jusqu’en 1871, le Japon était divisé en fiefs, remplacés alors par des départements to-dō-fu-ken 都道府県. Kokudo 国土 se compose des sinogrammes koku , lu kuni en Kun yomi 訓読 (lecture japonaise), qui signifie « pays, nation » et qui allie la frontière à l’étendue du territoire, et do , to, lu tsuchi en lecture Kun, qui représente le sol, la terre, le terrain. Kokudo, territoire, implique sa délimitation, ses contours et sa division, ainsi que sa nature.

Le territoire géographique japonais est constitué de quatre îles principales, Honshū, Kyūshū, Shikoku et Hokkaidō, ainsi que de très nombreuses petites îles (shima ) formant l’arc insulaire (rettō 列島). Il s’étire sur environ 3 000 kilomètres du nord au sud, morcelé et composé, aux particularités régionales. Mais, à cette « distance » permanente, prédomine la volonté idéologique d’unité et de continuité territoriale. Ses frontières ne sont pas claires, notamment avec la Russie concernant les Kouriles et Sakhaline, et la Chine à propos des îles Ryūkyū. En 1879 lui est intégré le département d’Okinawa. Les majeures modifications des contours ont lieu au moment de la guerre sino-japonaise de 1894-1895, la guerre russo-japonaise de 1904-1905, et durant la sphère dite de « coprospérité japonaise » de 1940 à 1945.

Bordé par la mer du Japon et l’océan Pacifique, au large de la côte Pacifique de l’Asie, le Japon possède une des plus grandes zones économiques exclusives (ZEE) du monde, qui représente douze fois sa surface terrestre (377 737 km2). Le climat est continental acadien au nord et subtropical humide au sud, et la faune et la flore variées. Les principales cultures sont la riziculture, la sylviculture, la pêche et l’agriculture dominée par celle des agrumes, patates douces, pommes, poires ou abricots etc. Archipel volcanique connaissant une activité sismique permanente et de fréquents tsunamis, le Japon est recouvert aux trois-quarts de montagnes boisées (yama , mori ) ce qui limite sa surface habitable.

La population, de 127 368 088 habitants (2012), est répartie inégalement, et principalement le long de la mégalopole, cordon ombilical du pays (voir Toshi hatten 都市発展). 90% des Japonais habitent en ville. La densité atteint les 337,1 habitants/km2. Les infrastructures routières, ferroviaires, portuaires et aéroportuaires y sont fortement développées. Articulée autour des trois mégapoles, Tokyo, Nagoya et Ōsaka, la mégalopole fait figure de contraste face à la désertion (kaso 過疎) des zones rurales. Et, les plans de mise en valeur, de 1962 qui visait à la promotion de villes industrielles, de 1965 qui développa le réseau de communication, et de 1977, qui accéléra la concentration des activités économiques sur Tokyo, ne firent que renforcer ce contraste. Ce n’est qu’à compter de 1987 que la loi d’aménagement des zones récréatives vint combler cette carence mais poser de nouveaux problèmes environnementaux.

La division administrative du territoire se fait en départements to-dō-fu-ken 都道府県 et en municipalité shi-chō-son 市町村 devenus « autonomes » depuis la loi sur l’autonomie des collectivités locales de 1947 (voir chō ). Son amendement en 1956 a donné naissance au système des villes désignées par ordonnance (seirei shitei toshi 政令指定都市), villes de plus de 500 000 habitants, les seules à être divisées en arrondissements (ku 区), en dehors de Tokyo qui possède 23 arrondissements spéciaux depuis 1943. Au nombre de 19, leurs compétences concernent les responsabilités sociales, environnementales, de santé, les infrastructures urbaines, l’urbanisme, la voirie, etc.

Il existe un to (Tokyo-to), un (Hokkaidō), deux fu (Kyōto-fu et Ōsaka-fu) et 43 ken . Un débat existe depuis les années 1920 quant à remplacer ces 47 départements par quelques régions (9, 11 ou 13), mais rencontre de nombreux obstacles. Par contre, la fusion des communes a été entamée dans le processus de décentralisation. Sous Meiji (1868-1912), il existait 15 859 communes, en rapport aux perceptions fiscales et à la tenue de l’état civil. Après la Deuxième Guerre mondiale, elles furent réduites à 3 975, pour des raisons de gestion des collèges, d’actions sociales et de santé publique. Dans les années 2000, c’est pour des questions de réduction des dépenses publiques et relativement aux nouvelles compétences. En août 2011, le Japon comptait 1 746 communes, appelées à atteindre les 1000 selon la loi de fusion des municipalités de 2004. Les bourgs et villages, chō-son 町村, sont regroupés en districts directement sous le niveau départemental. Les bourgs regroupent en principe moins de 50 000 habitants, seuil d’une ville, shi . En moyenne, le peuplement d’une commune est quarante fois supérieur à celui d’une commune française. Ces municipalités, shi-chō-son 市町村, sont aujourd’hui les principales actrices en urbanisme avec les opérateurs privés.


Pour en savoir plus :
• KAYAMA Michihiro (dir.), « Les Collectivités Locales au Japon ». Paris, Association des Collectivités Locales pour les Relations Internationales (CLAIR), 2010, 60 p. Accessible via Internet in CLAIR Paris, Centre Japonais des Collectivités locales : http://www.clairparis.org/img/pdf/research_fr/autre/les-collectivites-locale-au-japon.pdf
• MARMIGNON Patricia, « La concertation au Japon – Autonomie locale, collaboration et participation », Université d’été CAUE « CAUE & concertation… pour une vraie participation ! ». Site du Pont du Gard, UR CAUE Languedoc-Roussillon, septembre 2011, 11 p. Accessible via Internet in Mésologiques. Études des milieux humains : http://www.mesologiques.com/2011/10/la-concertation-au-japon-autonomie.html#more
• PELLETIER Philippe, La Japonésie. Géopolitique et géographie historique de la surinsularité au Japon. Paris, CNRS Éditions, 1997, 391 p.
• PELLETIER Philippe, Atlas du Japon. Une société face à la post-modernité. Paris, Autrement, 2008, 79 p.