lundi 7 avril 2014

Prochain séminaire, vendredi 11 février 2014 / Marie-Pierre Lassus

Le chant des anges William Bouguereau
Le chant des anges
William Bouguereau (1881)
(source)
Séminaire « Mésologiques », 10e séance : 11 avril 2014

Mésologie, musique et musique des sens

Par Marie-Pierre Lassus[1]

Résumé : La musique est pour le musicien un milieu où il a lieu d’être. Par le dialogue qu’elle instaure entre les silences et les sons qui la constitue, elle devient un support d’existence et revêt une connotation vitale pour les membres d’un orchestre. Je m’appuierai sur ma pratique de musicienne et sur l’expérience du jeu d’orchestre en milieu carcéral et psychiatrique pour confirmer cette  capacité de la musique, art non verbal et non visuel, à entrer en relation immédiate avec des sujets coupés du monde et d’autrui, appelés à « croître-ensemble » en ce milieu où ils sont immergés et qu’ils apprivoisent en apprenant à sentir(e) c’est-à-dire à écouter (en italien, le terme générique de la sensibilité signifie aussi écouter). Au sein de cette matrice sonore qui leur prééxiste et avec laquelle ils entrent en symbiose, de nouvelles subjectivités sont « à naître » comme la musique elle-même qui a ici toutes les caractéristiques de la chôra platonicienne (A. Berque, 2012).

L’écoute de cette relation, invisible mais concrète, entre sons et silences, dans la musique, un art où le repos est toujours agissant, est aussi au fondement de la vie en société selon G. Bachelard qui suggère d’«interpréter les silences et les timbres, toutes les résonances et tous les arpèges de la sympathie » du flux de la parole pour améliorer la qualité des rapports humains (M. Buber, 1936, Préface). 

Mais comment percevoir cette musique des sens, préalable au jeu musical, quand on n’est pas musicien? Comment sentir(e) cette orchestration du sensible repérée dans la nature par Jacob Von Uexküll et dans l’homme par Baudelaire et Merleau-Ponty, deux auteurs qui reconnaissent comme naturel le phénomène de   synesthésie.

Nous étudierons les conséquences éthiques et anthropologiques de cette « ontologie de l’invisible et de l’inaudible », induite par la pratique musicale et la poétique bachelardienne, où le monde existe en profondeur par sa sonorité (et non par l’image). Dans la tradition philosophique occidentale qui a toujours accordé le privilège (cognitif) à la vue et au langage comme synonyme de la pensée, quel rôle éthique a la musique en tant que « donnée immédiate de la vie » ? (Nietzsche) Peut-elle contribuer à fonder cette « doctrine de la spontanéité » à laquelle aspirait Bachelard à la fin de sa vie en prenant pour modèle les arts ? Cela oblige à transformer l’imagination en une imagination sonore (Eugenio Trias,2010), aérienne et sans images [( « La vue n’a aucune part aux images…elle est déduite du mouvement » affirme Bachelard  (1943 :112)] comme au théâtre des sens (Barcelone) où des voyageurs (= le public) sont invités à cheminer les yeux fermés dans des parcours sensoriels aménagés par des habitants (= les acteurs) afin de réapprendre à écouter cette musique des sens dont ils sont porteurs.

Il s’agira de questionner, à la lumière de la mésologie, la fonction esth/éthique de cet Entre  (Kimura BIN, 2000) qui est la matière même de l’art, pour fonder une esthétique de l’humain ou esthétique concrète (Bachelard) à partir d’une nouvelle anthropologie musicale.

Plan : 1. Vivre en amitié avec l’espace ; 2. la musique comme milieu ; 3.  La musique des sens ou la musicalité du sensible. 4. Pour une éthique de l’entre (Kimura Bin); 5. La musique ou l’expérience de l’altérité. 6. Sentir(e) au théâtre des sens de Barcelone ; 7. L’imagination sonore et l’ imagination sans images ; Conclusion :  vers une nouvelle anthropologie ou mésologie musicale ?



[1] Marie-Pierre Lassus est musicologue et enseignant-chercheur à l’université de Lille 3 où elle dirige le master Arts et la spécialité « arts et existence ». Professeur invité à l’université de Girona dans le posgrado Langages sensoriels, poétique des sens, poétique du jeu, (séminaire : la poétique de l’imagination)  créé en collaboration avec le théâtre des sens de Barcelone,  elle mène aujourd’hui des recherches sur l’imaginaire et ses effets de vie. Elle a publié en 2010 Bachelard musicien, Presse du Septentrion et elle est, depuis janvier 2012, responsable du programme « Chercheurs Citoyens » : Le jeu d’orchestre. Recherche-action en art dans les lieux de privation de liberté, (Conseil Regional du Nord et Université de Lille 3) qu’elle dirige avec une équipe internationale et pluridisciplinaire et 4 associations de la société civile.